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[VIDEOPROTECTION 1/2] La vidéoprotection confrontée au double défi de l’innovation technologique et d’un droit plus protecteur de la liberté et du consentement des personnes

La vidéoprotection est une composante du paysage urbain français après s’être imposée à la suite de débats intenses et houleux sur les libertés publiques dès la fin des années 1980. Si nous sommes encore très loin des quelques 460 000 caméras (de toutes natures et de toutes origines dont beaucoup de capteurs privés) déployées dans le seul Grand Londres, le débat tend à se déplacer en France, au nom d’un continuum technologique destiné à répondre à des besoins avérés ou fantasmés, sur le placage sur les systèmes de captation d’image de fonctionnalités nouvelles qui démultiplient leur impact pour les personnes.

Première partie de cet article, par Jean-Marc Peyrical, Avocat au Barreau de Paris et Jean-Christophe Moraud, Préfet et Inspecteur Général de l’Administration L’évolution - à bas bruit - de ce débat pose question dans la mesure où en France, la majorité des réseaux de vidéoprotection appartient aux communes et qu’il s’agit in fine de concilier la protection des libertés et de droits fondamentaux, l’anonymat dans l’espace public avec des impératifs de sécurité mais aussi des enjeux économiques. L’image des personnes - et des visages - qui depuis 1995 peut être captée en France dans l’espace public, enregistrée voire exploitée dans certaines conditions pour être comparée à d’autres images enregistrées (des fichiers propres aux forces de sécurité intérieure ou pour des besoins judicaires), est protégée par des textes qui ont évolué au fil du temps, en fonction des progrès techniques et des besoins. En effet, si la liberté individuelle est bien un droit imprescriptible énoncé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789, elle se conjugue avec d’autres droits tout aussi imprescriptibles, comme celui à la sureté. Ainsi, en France l’autorité publique peut porter atteinte au respect dû à l’image des personnes - donc à leur vie privée - mais cette atteinte doit être prévue par un texte législatif, justifié par des impératifs d’intérêt général et être proportionnée. L’informatique qui a permis de stocker puis exploiter des données (dont des images fixes ou animées) a rendu indispensable l’édiction d’un corpus de règles destinées à protéger la vie privée des personnes : à la fin des années 1970 en France, c’est la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, puis en 1981 pour les pays européens, la Convention n°108 du Conseil de l’Europe (28 janvier 1981) pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel. La capacité des autorités de police de photographier ou filmer dans l’espace public des personnes est règlementée par le code de procédure pénale(CPP) dans le champ judiciaire, et par le code de la sécurité intérieure (CSI) pour les activités de renseignement et les conditions d’utilisation de la vidéoprotection (loi de 1995 codifiée dans le CSI). En revanche, les enregistrements vidéo utilisés « dans des traitements automatisés contenus dans des fichiers structurés selon des critères permettant d’identifier, directement ou indirectement des personnes physiques » (1) relèvent non pas du CSI mais de la loi précitée du 6 janvier 1978 dite «informatique et libertés ». Les systèmes de vidéoprotection qui capturent des images dans l’espace public ou lieux ouverts au public (espaces d’entrée et de sortie du public, zones marchandes, comptoirs, caisses, etc…) obéissent à des règles particulières, distinctes de celles applicables aux systèmes de vidéosurveillance qui filment dans les lieux privés ou lieux de travail non ouverts au public. Le cadre juridique de la vidéoprotection dans l’espace public a été créé par la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation pour la sécurité (LOPS) ; il est désormais codifié dans le CSI (articles L 251-1 et suivts et L 241-1 et suivts pour les caméras mobiles). Il a été réformé à plusieurs reprises pour prendre en compte de nouvelles finalités et de nouvelles menaces (terrorisme par exemple) mais il n’a pas été adapté d’une part, aux nouvelles technologies aux capacités multipliées par l’apport de l’intelligence artificielle (techniques allant de la caméra intelligente jusqu’aux logiciels de reconnaissance faciale …). Surtout, il a été insuffisamment modernisé au regard du « Paquet européen » constitué par le RGPD et la directive « Police-justice »(2), d’autre part. A titre d’illustration, au regard de ces textes (RGPD et Loi « informatique et libertés » post RGPD) toute captation d’image, qu’elle donne lieu à un visionnage en temps réel sans conservation, ou un enregistrement présente le caractère d’un traitement au sens de ces textes (art 3.2 de la directive et 4.2 du règlement). En outre, les images ou apparaissent des personnes identifiables livrent des informations relatives à leur présence à un endroit déterminé, doivent être regardées des données personnelles (art 3.1 de la directive et 4.1 du règlement) dont le cadre de production relève aujourd’hui - conformément au CSI - d’une autorisation préfectorale. Il y a un gros travail législatif de mise en conformité du CSI avec ce « paquet européen », comme d’ailleurs pour les maires responsables de ces traitements : mise en conformité juridique de leurs installations avec les prescriptions de ces textes, au regard de leur impact sur les libertés et droits garantis… Dans le cadre de la préparation de la loi sur la sécurité globale, qui fait d’ores et déjà l’objet de bien des débats, nul doute que ce sujet de la vidéoprotection n’a pas fini d’être sur le devant la scène.

La définition juridique d’un système de vidéoprotection et de ses finalités légales frappée d’obsolescence ?

De manière étonnante, le CSI ne définit pas la notion de vidéoprotection mais on déduit de son article L 251-2 qu’il s’agit de systèmes vidéo « installés », donc fixes. L’ajout postérieur à 1995 d’un titre IV « caméras mobiles », comme les dispositions d’application qui prévoient la production d’un plan d’installation à l’appui d’une demande d’autorisation préfectorale confirment cette lecture. Ce titre IV ne traite d’ailleurs que des caméras « piéton », réservées pour l’instant aux forces de l’ordre (la proposition de loi « Sécurité globale » en cours d’examen au Parlement envisage d’étendre cette capacité aux polices municipales, dans certaines conditions) qui peuvent procéder en tous lieux (y compris privés) lors d’ interventions, à des enregistrement audiovisuels - ce qui est plus sensible en terme de libertés publiques - car il s’agit de collecter des preuves, de constater des infractions. Le recours à des capteurs mobiles sur véhicules ou drones n’est pas admis aujourd’hui même si les images collectées dans ce cadre peuvent être recevables dans une procédure judiciaire, comme preuve d’un crime ou délit. Faute de texte législatif explicite (la proposition de loi « Sécurité globale » vise à combler cette faille), en police administrative l’utilisation de ce type de capteurs pour identifier un individu et a fortiori enregistrer des données visionnées n’est pas autorisée comme le juge des référés du Conseil d’État l’a rappelé au Préfet de police dans une ordonnance du 18 mai 2020 (req. n° 440442, 440445). Même si c’est un arrêté spécifique du 17 décembre 2015 (JORF n°0298 du 24 décembre 2015) relatif à l’utilisation de l’espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord, qui réserve aux services de l’État l’utilisation de drones (article 10) dans le cadre de « missions de secours, sauvetage, douanes, de police ou de sécurité civile », cette base règlementaire parait bien fragile. En effet, le survol rapproché et mobile de lieux publics ou privés porte atteinte à la liberté proclamée par l’article 2 de la DDHC de 1789 qui implique le respect de la vie privée. Seul un fondement législatif permettra cet usage et quand bien même cette technique est utilisée dans le cadre d’une procédure pénale, les dispositions du Code de Procédure Pénal (CPP) imposent une autorisation (orale, le cas échéant) du magistrat compétent (par surcroit limitée à une courte durée). Un dispositif de vidéoprotection est donc formé d’un ensemble de capteurs fixes, même si les caméras peuvent balayer de grandes surfaces par rotation aléatoires, programmées ou pilotées par un opérateur. Depuis sa création en 1995, le régime juridique applicable à la vidéoprotection a été construit autour de trois grands modes opératoires qui n’ont guère évolué : • Le visionnage en temps réel des images par des opérateurs habilités (par « l’autorité compétente »). Cette fonction relève de la finalité dissuasive du dispositif mais elle facilite également le pilotage d’interventions opérationnelles sur le terrain, depuis le poste de commandement dans des situations sensibles ; • L’éventuel enregistrement des images et leur conservation sur un serveur local ou distant mais pour une durée limitée à 30 jours ; • Le visionnage a posteriori des images enregistrées en cas de motif le justifiant et relevant des finalités administratives précisées dans l’autorisation préfectorale, ou encore sur réquisition judiciaire. Ces usages « de base » demeurent pertinents mais en aval, la palette des techniques de traitement d’images vidéo ne cesse de s’enrichir grâce à des fonctionnalités logicielles plaquées sur les systèmes existants et qui peuvent se révéler intrusifs.

… D’autant plus qu’elle est bouleversée par de nouveaux usages des caméras vidéo résultant d’avancées technologiques très puissantes

La vidéo est aujourd’hui un outil incontournable (et non contesté) au service des missions de sécurité et de tranquillité publique. Pourtant, son efficacité traditionnelle est interrogée par les innovations techniques rapides qui révolutionnent le traitement automatique de l’image par l’intelligence artificielle mais dans un cadre juridique mal adapté (même si la proposition de loi « Sécurité globale » examinée au Parlement en ce moment, a pour objet de le mettre à jour). Derrière ces évolutions se dessinent en effet des choix politiques (parce qu’elles posent des questions en termes d’éthique et de droit) qui ne peuvent évidemment être opérés à l’abri des regards et du contrôle démocratique ! Les systèmes algorithmiques de traitement automatique de l’image peuvent couramment assister le vidéo-opérateur de plusieurs manières : • Pour sélectionner des flux d’images pertinents à visionner en temps réel sur alerte automatique – alertes caractéristiques de situations constituant des « anomalies » dans l’espace vidéo-protégé (un attroupement soudain avec des mouvements d’ampleur ou un bus immobilisé anormalement, etc…) ; • Dans les réseaux de grande taille, l’intelligence artificielle permet d’améliorer la compréhension d’une situation, d’un phénomène, le suivi d’une personne ou d’un objet…On peut appeler à l’écran le flux vidéo disponible correspondant à l’objet en question (bagage abandonné par exemple) en jouant sur l’angle de différentes caméras pour comprendre la cinétique (abandon apriori volontaire à cet endroit ou étourderie manifeste d’un voyageur …) ou d’une personne en déplacement qu’il s’agisse de son déplacement avéré (le voyageur fait un achat quelques mètres plus loin…) ou possible (à partir de modélisation des habitudes du public, des axes de fuite possibles ou probables …). On peut aussi accélérer des opérations de recherche d’un objet ou individu dans l’ensemble du stock d’images déjà enregistrées, par élimination des flux sans intérêt et condensation des seuls images correspondant au signalement (homme ou objet) –typiquement, un enfant perdu ou une personne âgée désorientée. Ces techniques permettent de palier le fait qu’un évènement constitutif d’une « anomalie » n’est pas toujours qualifiable directement à l’image, en temps réel en salle de supervision. Elles contribuent à un exercice plus efficace des missions de la vidéoprotection en « corrigeant » les effets de fatigue, voire les biais cognitifs des vidéo-opérateurs. Outre l’assistance aux opérateurs, l’analyse vidéo automatique est un outil mis en avant par les industriels comme certains élus dans la construction de « territoires ou villes intelligents ». Les caméras vidéo comme d’autres capteurs (sons…) constituent la première brique de l’internet des objets qui peuvent alimenter les systèmes d’information des collectivités locales, des établissements recevant du public ou des services de l’État mais en données personnelles (images, voix, allure…). Les progrès techniques réalisés depuis quelques années sur cet internet des objets permettent de transformer des heures de flux vidéo non structurées et donc inexploitables, en données structurées, cohérentes, rangées par catégories selon une grille programmée de vidéo-analyse. Ceci permet d’accumuler de l’information exploitée par des programmes informatiques sur les flux urbains, les déplacements de population dans des espaces urbains, par exemple. Les avantages opérationnels mis en avant sont nombreux : prévention situationnelle, régulation anticipée de circulation, évaluation de la pertinence et de la qualité de certains équipements publics, etc… Mais cela oblige à extraire de grands flux d’images des systèmes vidéo installés sur l’espace public – il faut balayer large – à les travailler pour en extraire de l’information structurée. Ces évolutions intéressantes éloignent toutefois de leurs finalités légales et règlementaires les dispositifs de vidéoprotection – telles qu’elles ont été conçues dans la loi de 1995. Bien sûr, les observateurs mettent en avant la compatibilité de ces nouvelles finalités –extraction d’informations structurées – avec l’esprit de la loi, dès lors que sont déployés des programmes techniques d’anonymisation, notamment pour parer tout risque de ré-identification et de traçabilité des personnes apparaissant sur les images vidéo par des tiers non habilités (images détruites au bout de 30 jours). Encore faudrait-il que la loi prévoie explicitement ce principe d’anonymisation immédiate de ces données et précise les garanties apportées aux citoyens ! Jean-Marc Peyrical Avocat au barreau de Paris Jean-Christophe Moraud Préfet, Inspecteur Général de l’Administration (1) Article L251-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI) (2) Directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquête et de poursuite en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et Règlement (UE) 2016/679 du Parlement et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD) Retrouvez dès maintenant la seconde partie de cet article

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