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Copropriété Publique-Privée : le coup d’arrêt du Conseil d’Etat

Sur un même périmètre géographique, les collectivités publiques et les personnes privées peuvent être appelées à faire coexister des biens et équipements relevant de la propriété publique et d’autres de la propriété privée.

Dès lors que, du fait de leur affectation au public ou à un service public, les biens propriété publique sont inclus dans le domaine public des collectivités, les règles classiques de la copropriété ne seront pas applicables ; le domaine public étant soumis à une protection particulière, notamment en termes d’inaliénabilité et d’insaisissabilité, il est donc incompatible avec le statut de la copropriété. Dans deux décisions récentes, le Conseil d’État vient d’accentuer encore les spécificités - et les interdictions associées- du régime juridique applicable dans ces cas d’espèce.

Une co-gestion remise en cause

Les exemples de cohabitation domaine public-propriété privée ne sont pas rares, s’agissant par exemple des divisions en volume, relatives à des équipements imbriqués ou physiquement liés les uns aux autres que ce soit de façon verticale ou horizontale, ou de zones d’aménagement de nouveaux quartiers où coexistent des équipements publics tels les services municipaux, centres scolaires ou universitaires, etc... et privés comme les bureaux, logements, commerces, etc… Une telle cohabitation ne résulte, sauf cas particulier, d’aucune disposition législative ou règlementaire. S’agissant ainsi de la division en volumes, elle est définie contractuellement entre les parties prenantes. Elle implique une définition très précise des volumes, qui a vocation à être retranscrite dans un état descriptif de division en volumes (EDDV), généralement établi par un géomètre-expert. Un cahier des charges est par ailleurs constitué entre les différents propriétaires des volumes constituant l’ensemble immobilier afin notamment de déterminer les modalités d’entretien des ouvrages. Et dès lors que plusieurs propriétaires sont appelés à vivre ensemble au sein d’un même périmètre, la gestion de cette cohabitation est le plus souvent confiée à une structure dédiée du type ASL (association syndicale libre) ou AFUL (association foncière urbaine libre), sorte d’associations de co-propriétaires soumises à l’ordonnance n°2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires et à sa circulaire d’application NOR : INTB0700081C du 11 juillet 2007. De telles associations détiennent des prérogatives spécifiques au regard des plus traditionnelles associations loi 1901, s’agissant notamment du recouvrement des charges d’entretien versée par ses membres. Or, en application des textes susvisés, les créances détenues par une association syndicale à l’encontre de l’un de ces membres sont justement garanties par une hypothèque légale sur les immeubles de ces membres compris dans le périmètre de l’association. Cela signifie donc que les biens relevant du domaine public peuvent se voir hypothéqués par l’association syndicale à laquelle leur collectivité propriétaire a adhéré. Si le Conseil d’État n’a jamais remis en cause la possibilité pour une personne publique d’adhérer, à l’instar des personnes privées, à une association syndicale, il vient par deux arrêts successifs de contester cette possibilité pour ce qui est des biens relevant du domaine public. Il s’agit des arrêts du 23 janvier 2020, Société IV Immobilier, n°430192, concernant une AFUL, et du 10 mars 2020, Association syndicale des propriétaires de la cité Boigues, n°432555, à propos d’une ASL. En vertu de ces décisions, l’incompatibilité des dispositions de l’ordonnance du 1er juillet 2004 avec le régime de la domanialité publique « a pour seule conséquence l’impossibilité pour l’association syndicale de mettre en œuvre, pour le recouvrement des créances qu‘elle détient sur la personne publique propriétaire, la garantie de l’hypothèque légale sur les biens inclus dans le périmètre et appartenant au domaine public ». Il résulte de ces jurisprudences que les personnes publiques propriétaires de biens imbriqués dans des ensembles immobiliers comportant aussi des biens relevant de la propriété privée ne pourront adhérer à une ASL ou une AFUR qu’à la condition que ces biens soient inclus dans leur domaine privé et non leur domaine public, alors qu’une telle adhésion était couramment pratiquée jusqu’alors.

Quelles alternatives ?

Il va donc être nécessaire, et rapidement afin que soient évités des contentieux, par exemple contre les décisions prises par les associations syndicales, de trouver des solutions afin de pallier une telle impossibilité d’adhésion. 1/ La première solution est de recourir à une association loi 1901 pour la gestion et l’entretien des éventuelles parties communes des équipements publics et privés. Le problème est que, contrairement aux associations syndicales, les associations loi 1901 ne disposent pas de prérogatives leur permettant de garantir le paiement des charges par les différents propriétaires. C’est une solution bien évidemment acceptable, au vu des dernières jurisprudences, pour le domaine public et son ou ses propriétaires ; elle le sera sans doute moins concernant les biens appartenant à des structures privées qui ne pourront donc faire l’objet d’hypothèques légales. De même, les membres d’une association loi 1901 peuvent librement en sortir, alors que cela est beaucoup plus difficile dans le cadre d’une association syndicale, gage d’une pérennité dans le temps de l’entretien et de la gestion des biens concernés. 2/ La deuxième serait de cumuler les deux associations : l’association loi 1901 pour le domaine public et l’association syndicale pour les propriétés privées, les deux étant liées par un contrat ; l’association syndicale pouvant aussi devenir membre de l’association loi 1901. 3/ La troisième solution serait de recourir à une structure ad hoc, pas nécessairement associative mais permettant à l’ensemble des propriétaires publics et privés d’assoir leur cohabitation et les mises en commun de certaines activités qu’elle nécessite. Cette structure pourrait prendre la forme d’une société anonyme mandatée et missionnée par les parties à cet effet, comme une sorte d’agence jouant le rôle de syndicat de copropriété. Il pourrait aussi s’agir d’une société d’économie mixte soit créée entre les parties à cet effet, soit dont les statuts et le champ d’intervention permettent de lui confier une telle mission. Une telle voie serait évidemment un peu plus lourde et complexe à mettre en œuvre, mais aurait le mérite d’assurer la solidité et la pérennité recherchées dans ce type de gestion commune de biens publics et privés. 4/ Une quatrième solution pourrait être envisagée, celle du mandat confié à l’un des co-propriétaires par l’ensemble des autres co-propriétaires publics et privés pour mener à bien les missions qui auraient dû être assurées par l’ASL ou l’AFUL. La signature d’une convention entre l’ensemble des parties prenantes pourrait ainsi précisément cadrer le rôle et les responsabilités de ce mandataire ainsi que les modalités de sa rémunération. Il reste que, quelle que soit la solution choisie, la structure de gestion mise en place ne pourra recourir à l’hypothèque sur les biens relevant du domaine public. Et donc le paiement des charges dues par les personnes publiques concernées ne pourra faire l’objet d’une garantie solide, au contraire, en fonction de la structure choisie, de celles dues par les personnes privées. Jean-Marc PEYRICAL Avocat Associé, Cabinet PEYRICAL & SABATTIER Associés Président de l’APASP, Association Pour l’Achat dans les Services Publics

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