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L’acheteur public à un tournant historique

L’achat public, et tous les marchés publics et concessions qui y sont associés, serait-il arrivé à un tournant ? Par Jean-Marc Peyrical et Sébastien Taupiac

Repenser l’achat public

Victime de son succès et de la prise de conscience - enfin - par les décideurs politiques de son impact économique, il est sans cesse appelé à la rescousse et vient régulièrement au soutien voire au secours des entreprises nationales et tout particulièrement des PME frappées de plein fouet par la crise économico sanitaire depuis bientôt un an. A côté de l’action, le temps n’est-il pas venu de la réflexion ? Sans aller jusqu’à philosopher- quoi que- sur le pourquoi et le comment de l’achat public, peut-être faut-il s’interroger sur son positionnement sur la chaine de valeur, tant en termes de prix, de coût global que d’approche liée à l’usage. Il n’est en cela que le reflet de l’évolution de la société, de nos modes de vies et de pensée, de nos modèles économiques et traduit le développement inéluctable de nouvelles relations entre la demande et l’offre et dans le cas présent entre acheteurs publics et fournisseurs.

À quoi sert l’achat public ?

Question dont la réponse apparait de prime abord assez simple : l’achat public permet, grâce à la mise en œuvre des contrats de la commande publique, aux personnes publiques et personnes privées qui en sont dépendantes de fonctionner et d’assurer aux usagers un service public de qualité. On pourrait aller plus loin et se demander s’il s’agit d’une simple dépense budgétaire (contrainte ?) ou d’un investissement dans l’avenir (opportunité ?). Sans doute un peu des deux. Garantie d’une gestion optimale des deniers publics, si tant est qu’il soit utilisé de façon efficiente, l’achat public se doit aussi de participer à la recherche de la performance des activités publiques, et plus particulièrement des services publics, tant pour ses usagers que pour ceux, agents publics, chargés de le mettre en œuvre. Mais l’achat public ne peut être réduit à une dépense à un instant « t ». Il permet aussi une contribution de plus en plus forte avec le temps aux politiques publiques en matière de protection de l’environnement et de lutte contre le gaspillage, d’insertion sociale, de numérisation ou encore d’innovation. C’est dans ces domaines que le recours - dans des conditions légales bien évidemment - aux entreprises de proximité peut s’avérer particulièrement efficace en termes de performance économique en coût complet, de disponibilité et de réactivité mais aussi d’accès aux solutions adaptées aux attentes spécifiques liées à un service particulier...pour lequel par exemple des propositions innovantes sont attendues.

Les outils sont là

Et le droit dans tout cela ? Il doit justement être au service des objectifs et politiques ci-dessus rappelés, et offrir aux acheteurs les outils leur permettant de les atteindre et les mettre en œuvre. C’est à nouveau le cas dans l’innovation, où du décret de « noël » du 24 décembre 2018 instaurant par expérimentation un seuil de 100.000 euros au partenariat d’innovation, en passant par la possibilité d’en faire un critère de choix ou un justificatif permettant de passer un marché négocié quel que soit son montant...les outils à disposition des acheteurs publics sont là et bien là. Encore faut-il non seulement qu’ils en aient conscience, mais aussi qu’ils sachent les utiliser, ce qui pose le sujet en termes cette fois d’organisation, de compétences, et donc, ce qui est lié, de formation initiale et continue … en résumé de leur professionnalisation. Ainsi qu’on a déjà pu l’écrire dans ces colonnes, le droit de la commande publique apparait aujourd’hui, tant s’agissant de ses règles que de ses principes, suffisamment abouti. Certes, ici et là expérimenter telle ou telle souplesse, permettre à l’autorité exécutive, comme l’a fait la loi ASAP de décembre 2020, d’alléger temporairement les procédures en cas de circonstances exceptionnelles ou de motif d’intérêt général, moderniser et adapter des modèles comme c’est le cas pour les CCAG, transposer des décisions jugées suffisamment importantes des juridictions administratives...les textes écrits ne peuvent bien évidemment pas rester figés. Mais ils ne sont pas la solution de tout, et ne sauraient à eux seuls préparer l’avenir de l’achat public et de ses acteurs.

Et demain ?

Même si le contexte a été - et est toujours - exceptionnel, la crise économico-sanitaire n’a t-elle pas démontré un affaiblissement du modèle traditionnel du contrat, jusqu’à en exonérer les parties ? Ou sont passées les fameuses « prérogatives de puissance publique » ou les « clauses exorbitantes du droit commun » qui caractérisaient les contrats de la commande publique revêtant un caractère administratif ? On a plutôt assisté à un rééquilibrage des relations entre les cocontractants, relations qui se sont davantage appuyées sur une confiance réciproque (application mesurée des sanctions et notamment des pénalités pour faute, respect des délais de paiement- bien que des progrès soient encore attendus en la matière-, développement du dialogue et des échanges entre les parties durant l’exécution du contrat, assouplissement de ses modalités d’évolution et d’adaptation...). Il serait souhaitable qu’une telle confiance, nécessaire pour démystifier l’achat public auprès des PME-TPE et leur rendre plus accessible, puisse s’installer durablement dans le temps. Et puis... si, en termes de sécurité d’approvisionnement et de disponibilité des services publics, voire de souveraineté, le modèle de l’investissement et du prix commençait à montrer ses limites ? Digitalisation accélérée de tous les équipements et services, évolutions technologiques rapides et brutales, interactions croissantes avec leur environnement, importance de pouvoir accéder dans un temps optimisé à un usage et à des solutions mobiles et modulaires, par exemple dans le domaine de la santé mais aussi du transport, de l’informatique, de la sécurité...il va sans doute falloir réfléchir en termes de cycle de vie, de cout global et de valeur d’usage plutôt que d’achat reposant sur un prix fixé à un instant « t ». Et, de fait, les acheteurs vont devoir enfin et sans nul doute s’orienter vers des cahiers des charges davantage fonctionnels que techniques, vers des approches de cout incluant non seulement toutes les étapes de la vie d’un équipement mais aussi les services associés comme la formation, ou encore davantage d’obligations de résultat notamment en termes de disponibilité et de sécurité d’approvisionnement ou de possibilité de changer de fournisseur en cours de contrat afin de pouvoir disposer du meilleur prestataire et des dernières solutions techniques tout au long de l’exécution de ce dernier. Penser en valeur d’usage c’est aussi par exemple s’assurer que les solutions déployées limitent en tout temps l’accroissement des risques de cybersécurité, sujet majeur de cette année qui vient de commencer. Comme dans la vie quotidienne de chacun, une nouvelle approche de la chose publique et donc de l’achat public est en train de se dessiner, approche qui passe de la propriété à l’usage, de la valorisation du résultat et non des moyens permettant de l’atteindre, du caractère essentiel non pas de la passation mais de l’exécution du contrat. La seule approche réellement garante du portage si espéré des politiques publiques. Finalement, le plus important dans ce terme « achat public » n’est plus l’achat surtout si l’on pense enfin en résultat et non en « achat » mais au terme « public ». Un terme qui met le citoyen sous toutes ses facettes au cœur des enjeux qu’il soit usager, citoyen, salarié, employeur, … afin que l’achat public soit avant tout garant de nos principes constitutionnels de liberté, d’égalité et de fraternité… et probablement de souveraineté, qu’elle soit industrielle ou numérique ! Jean-Marc Peyrical Président de l’Apasp Avocat associé Maitre de conférences à l’Université de Paris Saclay Directeur de la Chaire Achat Public de l’Université Sébastien Taupiac Directeur du développement / Verso Healthcare

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