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Déféré préfectoral : seuls les vices ayant conduit à une rupture d’égalité de traitement entre les candidats sont susceptibles d’entrainer la résiliation du contrat

Dans un arrêt rendu par la Cour Administrative d’appel de Nantes en date du 22 janvier 2021 (1), le juge administratif a été amené à se prononcer sur la régularité d’une procédure de sélection d’un maître d’œuvre à la suite d’un déféré préfectoral. Il permet d’illustrer à nouveau les méthodes du juge quant à l’analyse des conséquences d’irrégularités de procédure sur la licéité-même du contrat.

Un problème de composition et de motivation de l’avis du jury

Le 21 janvier 2017, la commune de Ouistreham a engagé une procédure de concours restreint de maîtrise d’œuvre en vue de l’attribution d’un marché public en application de l’article 8 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et de son décret d’application n°2016-360 du 25 mars 2016, pour la construction d’un centre des relations franco-britanniques sur le territoire de la commune. Le jury de concours s’est réuni le 15 mars 2017 et a invité trois groupements d’entreprises à concourir et à déposer une offre. Par la suite, il a procédé à l’analyse des offres le 13 juillet 2017 et a désigné celle devant être classée en première position dans le cadre d’un avis du jury de concours. Suivant cet avis, le marché a été attribué par une délibération du 23 octobre 2017 du conseil municipal de la ville, autorisant le maire à signer l’ensemble des actes d’exécution de cette délibération, dont la signature de l’acte d’engagement, intervenue le 3 novembre 2017 et transmis au contrôle de légalité le 14 novembre 2017. Le préfet du Calvados a alors formé un recours gracieux le 11 janvier 2018 et a demandé à la ville de résilier ledit marché. Faute de réponse de la ville, le préfet a alors déféré au Tribunal administratif de Caen le marché afin d’en contester la validité et en soulevant uniquement des moyens tirés de l’irrégularité de la procédure de passation dudit contrat. Par un jugement du 16 juillet 2019, le tribunal a fait droit au déféré préfectoral et a prononcé la résiliation du marché de maîtrise d’œuvre à compter de la lecture du jugement, étant précisé que la suspension de l’exécution du contrat avait d’ores et déjà été prononcée par une ordonnance de référé du 11 avril 2018. Le juge a retenu que la composition du jury de concours était irrégulière et contraire à l’article 89 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marché publics, mais également que l’avis du jury était insuffisamment motivé et contraire aux articles 88 et 90 du décret précité. Ce faisant le tribunal a estimé que les vices entachant la procédure de passation ne portaient pas atteinte à la licéité du contenu du contrat, ne constituaient pas des vices du consentement, ni des vices que le juge devait relever d’office. En revanche, il a jugé que ces vices étaient susceptibles d’avoir affecté le choix du cocontractant et étaient insusceptibles de régularisation, justifiant ainsi la résiliation du contrat à compter de la date du jugement. La ville a alors interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Nantes.

Déféré préfectoral et pouvoirs du juge

En droit et comme le rappelle la Cour, le déféré préfectoral dirigé à l’encontre d’un contrat administratif est désormais un recours de plein contentieux offrant une large palette de po au juge, autre que la simple annulation du contrat. En effet, le juge, saisi par le préfet de conclusions tendant à contester la validité d’un contrat doit apprécier les conséquences d’éventuels vices sur la légalité dudit contrat pour : - Soit décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation ; - Soit prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, la résiliation du contrat ou son annulation pour les vices d’une particulière gravité. En effet, l’annulation ne peut être prononcée que dans les hypothèses où il existe un contenu illicite, un vice du consentement, ou encore dans le cas où le contrat est affecté d’un vice d’une particulière gravité (2).

Le jugement remis en cause

A l’instar du tribunal administratif, La Cour administrative d’appel de Nantes relève d’abord que la composition du jury était irrégulière au regard de l’article 89 du décret du 25 mars 2016, mais conforme au règlement de la consultation. De même, s’agissant de la motivation de l’avis du jury, la Cour relève son insuffisance et par conséquent sa méconnaissance de l’article 88 du décret précité. Néanmoins, la Cour administrative d’appel juge qu’il n’est pas démontré, ni pas le préfet, ni par les pièces du dossier, que ces irrégularités de la procédure de passation du contrat ont été de nature à avoir méconnu l’égalité de traitement entre les candidats ou auraient pu avoir une influence sur le sens de l’avis du jury, avis qui aurait été de nature dans ce cas à fausser l’appréciation des candidatures. Ainsi, la Cour juge qu’« aucune des deux irrégularités relevées ci-dessus n’était de nature à justifier la résiliation du marché de maîtrise d’œuvre en cause ». Dans cet arrêt, le juge administratif vient réduire les conséquences des irrégularités de la procédure de passation d’un contrat dans le cadre d’un déféré préfectoral. Certaines irrégularités, à savoir celles qui ne remettent pas en cause l’égalité de traitement des candidats, quand bien même elles ne seraient pas régularisables, n’interdisent pas la poursuite de l’exécution du contrat. Par conséquent, dans le cadre du déféré préfectoral à l’encontre d’un contrat, même si le préfet arrive à démontrer l’existence d’un un vice de procédure dans la passation du contrat, cela peut ne pas être suffisant pour emporter la résiliation dudit contrat. Il lui appartient également de démontrer, pour obtenir gain de cause, que ce vice est de nature à rompre l’égalité de traitement entre les candidats ou est susceptible d’exercer une influence sur la décision d’attribution. Ainsi, sans y faire référence, le juge applique d’une certaine manière dans cet arrêt la jurisprudence SMIRGEOMES par laquelle les candidats ne peuvent soulever que les vices de procédure les ayant directement lésés, c’est-à-dire ayant entrainé une rupture d’égalité de traitement manifeste ou ayant exercé une influence sur le choix de l’attributaire (3), lors d’une procédure en référé précontractuel (4) ou en référé contractuel (5). Cet arrêt procède donc à un rééquilibrage entre les requérants directement concernés par la passation dudit contrat et le contrôle de légalité, ce dernier ne pouvant soulever toute irrégularité de procédure pour faire résilier ou annuler un contrat. Une telle décision ne peut qu’être saluée en ce qu’elle permet d’éviter l’instrumentalisation du contrôle de légalité préfectoral par les candidats évincés, mais également apporte de la sécurité juridique au contrat -et à son titulaire-, dès lors que le déféré préfectoral intervient postérieurement à sa signature. Jean-Marc PEYRICAL, Avocat associé et Nicolas CORLOUER, Avocat à la Cour (1) CAA de Nantes, 22 janvier 2021, req. n°19NT03692 (2) CE, 23 décembre 2011, Ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, req. n°348647 ; voir également CAA de Paris, 13 mars 2018, req. n°17PA03641 (3) CE, 3 octobre 2008, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l’élimination des ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe, req. n°305420 (4) Article L. 551-1 et suivants du Code de justice administrative (5) Article L. 551-13 et suivants du Code de justice administrative

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