Aller au contenu principal

Délit de favoritisme : l’épée de Damoclès est toujours là

A un moment où, contexte économique et sanitaire oblige, les acheteurs publics ainsi que les rédacteurs des textes applicables à la commande publique sont plutôt à la recherche d’un assouplissement, au moins temporaire, des règles et procédures, la Cour de Cassation vient de rappeler l’existence des sanctions pénales qui sont toujours bien présentes dans le paysage des marchés publics et des concessions. Faut-il pour autant s’en émouvoir et craindre une recrudescence des condamnations pour délit de favoritisme mais aussi prise illégale d’intérêts ? Paradoxalement, rien n’est moins sûr...

Quantité et qualité

L’affaire - ou plutôt les affaires - Bygmalion ont marqué pendant plusieurs mois la chronique judiciaire. Le 17 avril 2019, ainsi, la Cour d’Appel de Paris a condamné le fondateur de la société à 5 mois de prison avec sursis et 100.000 euros d’amende pour avoir passé des contrats de prestations de service entachés de favoritisme avec France Télévision. Il a été plus précisément condamné pour recel d’atteinte à la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics ainsi que pour prise illégale d’intérêts. Dans son arrêt du 4 mars 2020, n° 19-83.446, la Cour de Cassation a confirmé cette décision rendue en appel, la société en cause, FTV, bien que relevant du droit privé, étant chargée d’une mission de service public et donc soumise au délit de favoritisme dans le cadre de la passation de ses contrats de prestations.

Une telle décision appelle plusieurs réflexions

D’abord, et contrairement à ce qui a pu être dit et écrit ici et là, elle n’est pas novatrice en soi. L’élargissement du champ du délit de favoritisme qu’elle prône n’est que la confirmation d’une jurisprudence désormais bien assise. La Cour de Cassation a ainsi jugé le 17 février 2016 - chambre criminelle, n°15-85.363, qui concernait déjà la société Bygmalion - que les marchés passés sur le fondement de l’ordonnance du 6 juin 2005 par des personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics entraient pleinement dans le champ du délit de favoritisme. Si la décision a alors pu paraître quelque peu audacieuse, elle a reposé sur une logique implacable, à savoir le fait que les pouvoirs adjudicateurs soumis à ladite ordonnance devaient respecter, comme ceux soumis au code des marchés d’alors, les principes fondamentaux de liberté d ‘accès, d’égalité de traitement et de transparence des procédures. C’est d’ailleurs sur le même fondement que l’ex-PDG de Radio France Mathieu Gallet a été condamné à un an d’emprisonnement avec sursis en tant qu’ancien Président de l’institut National de l’Audiovisuel par le TGI de Créteil le 15 janvier 2018, pour avoir commis plusieurs infractions dans la passation de marchés publics - traitement inégalitaire de candidats, passation d’avenants et de marchés complémentaires pour des montants élevés, saucissonnage de prestations de conseil. Ensuite, et en liaison avec ce qui vient d’être rappelé, elle est tout à fait cohérente avec la définition des acheteurs publics et autorités concédantes telle qu’elle relève des

Il faut raison garder

Enserrés par le délit de favoritisme, le conflit d’intérêts et son pendant pénal la prise illégale d’intérêts, les acheteurs publics peuvent justement avoir le sentiment que leur liberté est sinon toute relative du moins fortement limitée par les risques qu’ils encourent dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions. S’agissant plus particulièrement du favoritisme, quelques statistiques récentes - pour l’année 2017 - publiées par le Ministère de la justice permettent de relativiser son importance et son impact. Au regard des centaines de milliers de procédures de marchés publics et de concessions souscrites chaque année par les quelques 130.000 acheteurs publics répartis sur notre territoire, ce sont 33 affaires traitées par les parquets qui ont été recensées pour cette année 2017 ; ce chiffre étant plus ou moins régulier selon les années (37 en 2016, 22 en 2015, 17 en 2014, 21 en 2013 et 38 en 2012). Cela représente 11% des affaires pour manquement au devoir de probité, derrière la corruption (42%) et la prise illégale d’intérêts (15,5%). Autant dire que - et sachant de plus que la condamnation pour favoritisme ne s’accompagne qu’exceptionnellement de peines de prison ferme -, le pourcentage d’affaires relevant de l’article 432-14 du code pénal est très bas. Est-ce dû à une insuffisance des contrôles, malgré les enquêtes régulières de la Cour des Comptes et des chambres régionales de comptes sur la gestion des structures publiques et para publiques ? Aux délais des procédures devant les juridictions de première instance, qui, même si elles ont tendance à s’améliorer - 9,4 ans en 2009 contre 5,4 en 2017 - restent très longues et font peser sur les auteurs présumés des faits une lourde suspicion ? A la probité des acheteurs publics, particulièrement éclairée par ces statistiques ? Sans doute un mixte de tout cela. Et puis, les jurisprudences de la Cour de Cassation de ces dernières années sur le délit de favoritisme font le plus souvent état de détournements plutôt grossiers de la réglementation, qu’il s’agisse d’avenants qui, en cumul, traduisent des modifications plus que substantielles des marchés ou concessions d’origine, des scissions de contrats relevant d’une même unité fonctionnelle ou d’une même opération afin de rester en dessous des seuils des procédures formalisées, ou encore la diffusion d’informations et de renseignements à certains candidats et non aux autres...Pour citer le cas d’une illégalité particulièrement grave et évidente, il y a celui d’un acheteur qui a retenu une offre pourtant inappropriée et irrégulière, la procédure litigieuse ayant été montée « pour la forme » tel que cela résulte du libellé de l’arrêt...A noter que, dans ce dernier, la Cour de Cassation a admis le cumul des délits de favoritisme et de prise illégale d’intérêts. Il est vrai que les deux peuvent être amenés à être liés, tout en reposant sur des faits dissociables. Par exemple, un marché remporté par une entreprise au sein de laquelle l’assistant financier de l’acheteur public lors de la procédure de passation était co-gérant est susceptible de rentrer dans les deux champs délictuels - Cour de Cassation, 20 mars 2019, n° 17-81.975, à propos d’une procédure de marché souscrite en Nouvelle Calédonie. Ce cumul représente effectivement un vrai risque pour des procédures, et donc par la même leurs acteurs, où le conflit d’intérêt est présent de façon plus ou moins marquée. Mais à nouveau, les statistiques sus évoquées plaident pour les acheteurs et tous ceux qui sont appelés à participer à leurs procédures de marchés et de concessions. Et les affaires évoquées montrent bien que le professionnalisme, la diligence, la compétence en termes de formation et d’organisation ainsi que la neutralité et la bonne foi sont des armes qui doivent être suffisantes pour faire barrages aux écarts et dérapages pouvant conduire à des contentieux d’ordre délictuel. Maintenant, dans le domaine de l’achat public comme ailleurs, la perfection et le zéro défaut n’existent pas. Mais malgré quelques décisions sévères et percutantes de la Cour de Cassation, il apparaît que les écarts et dérapages sus visés ne représentent qu’une part plus que minime dans l’univers des marchés publics et des concessions, ce qui est plutôt rassurant pour l’avenir de ce dernier à un moment où il est considéré comme un des instruments phares de la relance économique. Jean-Marc PEYRICAL Avocat associé Cabinet Peyrical & Sabattier Associés Président de l’APASP, Association Pour l’Achat dans les Services Publics

Actualité des marchés
Lyon renouvelle la mission Gerland et celle du Carré de Soie pour intégrer des "problématiques émergentes"
Le groupement conduit par Insolites Architectures a été désigné pour accompagner la mission Gerl...
22-03-2021
Copropriété Publique-Privée : le coup d’arrêt du Conseil d’Etat
Sur un même périmètre géographique, les collectivités publiques et les personnes privées peuve...
29-09-2020
L’acheteur public à un tournant historique
L’achat public, et tous les marchés publics et concessions qui y sont associés, serait-il arriv�...
04-03-2021
Besoin d’aide ou de renseignement ?
Nos spécialistes sont à votre écoute.
Nous contacter